Les albums pour tout-petits partie 2

Dans la première partie (ici), je regrettais l'évolution de la majorité des albums pour enfants. Pour ne pas faire de favoritisme, je voudrais maintenant régler leur compte aux livres plus anciens.


Pour quelle raison raconte-t-on l'histoire du Petit Poucet aux enfants ?
Quand j'y réfléchis, je trouve cette histoire absolument abominable. Alors d'accord, le petit Poucet est malin, intelligent, courageux, débrouillard et tout ce que vous voulez, mais est-ce bien utile, pour enseigner ces vertus à notre enfant, de glisser dans son si jeune esprit, l'idée que ses parents pourraient un jour l'abandonner ?
On pourrait en dire autant de beaucoup de contes anciens. Le loup du petit chaperon rouge est absolument sadique. Il aurait pu dévorer la petite fille immédiatement puis aller dévorer la grand-mère. Qu'avait-il besoin de ruser, de tromper la petite fille, de se faire passer pour la grand-mère dans le lit,... ? Qu'est-ce que cela enseigne à nos enfants excepté que le cœur peut être vraiment tortueux et méchant ?
On pourrait parler de Hansel et Gretel, de Jack et le haricot magique, de Barbe bleue et de toutes ces autres histoires d'ogre et de sorcières. Est-il nécessaire que l'enfant découvre si jeune toutes les profondeurs de la méchanceté humaine ?

Lorsque j'étais au lycée et que nous avons étudié des extraits de "La psychanalyse des contes de fée", de Bruno Bettelheim, j'étais horrifiée que quelqu'un ose dire que leurs auteurs (Perrault, Grimm, Andersen,...) avaient abordé sous forme masquée des thèmes comme la sexualité,... Je me disais que les penseurs actuels, cherchent à tordre le sens de toutes les belles choses et qu'ils s'attaquent même aux jolis contes pour enfants.

Mais maintenant que j'ai des enfants, je me demande si ce sont des contes aussi jolis et innocents que je le pensais. Pour quelle raison cherche-t-on à raconter des choses effrayantes ? Ce qui est surprenant, c'est que lorsqu'on nourrit l'enfant de ces choses-là, il y prend goût et en redemande. Bruno Bettelhein (que j'ai cité juste au-dessus) explique que les contes répondent précisément aux peurs des enfants, leur permettent de les affronter et de les surmonter. Est-il possible de prouver cela ? Est-ce que vous vous souvenez d'une peur que vous aviez et que vous avez pu surmonter grâce à un conte ? Personnellement, je me demande si les contes ne peuvent pas créer des peurs. Lorsque j'étais enfant, j'ai été particulièrement marquée par l'histoire de la chèvre de monsieur Seguin. J'ai beaucoup pleuré, j'y ai repensé pendant des jours et des jours, et j'ai dit à ma mère que j'aurais préféré qu'elle ne me raconte pas cette histoire.

Certains diront qu'il faut lire des contes aux enfants pour développer leur culture générale. Les contes font partie de notre patrimoine culturel. Lire des contes participe à la création d'une culture commune qui permettra aux enfants d'être adaptés au monde qui les entoure.
Cette idée aussi me pose problème. Est-ce que parce que cela fait partie de la culture, nous devons enseigner à nos enfants des choses que nous ne pensons pas être bonnes pour eux ?
Par exemple, qui n'a pas étudié au lycée des livres comme "Madame Bovary" de Flaubert ou "Le rouge et le noir" de Stendhal,... ? Ces livres qui font partie du patrimoine culturel, qu'il FAUT connaître, nous dit-on, sont une éloge de la débauche. Ou du moins ils la banalisent. Devons-nous forcément tolérer que l'on mette cela sous les yeux de nos enfants lycéens sous prétexte que ce sont de grands classiques ?
Pouvons-nous appliquer pour nous le verset de Psaumes 101.3 "Je ne mettrai rien de mauvais devant mes yeux; Je hais la conduite des pécheurs; Elle ne s'attachera point à moi." et mettre des choses que nous savons être mauvaises devant les yeux de nos enfants ?

Ces derniers mois, en réfléchissant sur ce sujet, je me disais que j'étais certainement un peu excessive car jusqu'ici, je n'ai jamais rencontré personne, même chez les chrétiens, qui remette en question les contes de fée. Et j'ai eu la surprise de lire ceci dans "Élever son enfant autrement" de Catherine Dumonteil-Kremer:
" Les contes traditionnels
S'ils font partie de notre patrimoine culturel, leur lecture n'en est pas pour autant bénéfique à nos enfants. Ils sont la plupart du temps effrayants et je ne vois pas pour quelle raison nous infligerions cette terreur à des petits. Relisez-les et voyez par vous-même s'il n'y a pas de quoi leur donner des cauchemars.
Ces contes anciens ont été à l'origine écrits pour les adultes. Je me demande parfois si l'attrait que certains adolescents manifestent pour les films d'horreur n'est pas enraciné dans ces histoires parfois sordides. Les visions d'horreur sont blessantes pour tous, adultes, adolescents et enfants, et elles sont dangereuses car à la longue, elles génèrent une insensibilité totale à la réalité".

Toutes ces réflexions que j'ai partagées dans ces 2 articles m'encouragent à constituer avec le plus grand soin la bibliothèque de mes enfants. Et cela est valable pour tout ce qui peut les influencer tant qu'ils sont sous notre responsabilité (films, jeux, musique, fréquentations,...). Cela peut paraître dictatorial et il ne s'agit pas de les priver de tout. Il est vrai que le monde évolue de telle façon que de plus en plus de choses exercent une influence néfaste sur nos enfants et qu'il est de plus en plus dur de les en protéger et de les élever à contre-courant.

On peut craindre qu'en les privant de ces mauvaises choses, nos enfants soient encore davantage attirés par cela. C'est en effet un risque si on ne leur propose rien de bon et de constructif à la place.

Mais heureusement, il existe encore de bons livres. Il faudra parfois bien chercher. Beaucoup de bons livres ne sont plus réédités et on ne les trouve plus que d'occasion.

Mais je suis persuadée que si je nourris mes enfants de bonnes lectures, ils ne seront pas attirés par les mauvaises.

Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet, voici un article des Vendredis Intellos, que je viens de découvrir et qui aborde le sujet. Les commentaires sont particulièrement intéressants.